Le choc post-traumatique non identifié, qui se tapit en expériences de guerre dans certains bagages, se révèle très souvent dans de simples gestes quotidiens ou des situations banales. La personne qui en souffre se demande alors si elle perd la raison. On retrouve cette situation chez beaucoup de militaires, mais aussi chez beaucoup de gens qui ont vécu des traumatismes.
Je vous raconte aujourd’hui ma propre expérience.
Revenir à la maison, parmi les étrangers
Les longues missions à l’étranger mettent à rude épreuve la vie familiale des militaires. Reprendre sa place dans sa famille après plusieurs mois d’absence n’est pas facile : les enfants ont changé, ils ont grandi, ils ont leur routine. Le sentiment de ne plus compter pour eux, de ne plus être utile ou d’avoir perdu sa place dans la famille est parfois intolérable. On se sent perdu et cette situation entraîne un état anxiogène palpable ainsi que des distorsions cognitives influençant notre perception de la réalité. Même si la situation peut sembler catastrophique, le militaire se doit de considérer de nouvelles stratégies et effectuer des efforts pour retrouver sa place au sein d’une famille dans laquelle il a connu le bonheur.
Mon retour à la maison
En août 2007, quelques jours après mon retour d’Afghanistan – qui comptabilisait neuf mois d’absence –, un événement imprévisible provoqua tout un émoi dans ma famille.
Je ne les reconnaissais plus. J’avais l’impression d’avoir raté le passage de mes enfants de l’enfance à l’adolescence. Aussi, d’avoir perdu quelque chose de l’étincelle qui m’unissait à mon épouse. Qui étaient ces étrangers avec qui je devais désormais partager le quotidien ? Une tristesse me serrait souvent la gorge. Je continuais de croire que la vie m’avait donné la meilleure famille et que cette période d’adaptation, je devais la vivre avec une sensibilité attentive à l’autre et avec acceptation. Tout rentrerait éventuellement dans l’ordre, de ça, j’en étais convaincu.
Un matin pourtant ordinaire
Un matin, mon adolescent quittait pour l’école et, dans un geste sûrement inconscient, referma violemment la porte d’entrée derrière lui. Le claquement fut si fort que la maison vibra littéralement. L’incident en soi est banal. Mais, là, en un éclair, des images se sont bousculées dans ma tête :
Je suis en Afghanistan, en novembre 2006, au camp Nathan Smith. Je m’affaire à récupérer les restes du corps d’un militaire américain qui vient de périr sous mes yeux, victime d’un engin explosif improvisé. Je suis pétrifié par ce que je vois. Mon corps débat à en rompre, mais je dois agir… Je repousse très loin en moi ces images horribles, ainsi que mon impuissance à changer les événements pour agir promptement, comme le demandait la situation.
Ça arrive sans crier gare
Sans m’en rendre compte, j’avais enveloppé ce souvenir l’oubli pour ne pas qu’il revienne hanter ma mémoire. Je ne savais pas, alors, que même sous la plus épaisse des brumes, un traumatisme agit sur la personne sans qu’elle ne puisse réaliser qu’elle en est éventuellement le pantin. Attention, par contre. Il est important de souligner qu’il n’est pas nécessaire qu’un événement soit des plus tragiques pour marquer une vie. Il peut aussi s’agir d’un événement léger dont l’impact peut-être aussi grand. Pour ma part, je n’ai pas reçu de diagnostic comme tel d’un choc post-traumatique. Néanmoins, si je n’avais pas pris les mesures nécessaires très rapidement, je ne sais pas comment aurait été ma condition, un an plus tard.
En entendant le bruit de la porte d’entrée claquer à la volée par mon fils, je me suis mis à pousser de grands cris et à l’abreuver d’injures, dans une absence complète de contrôle. J’étais dans tous mes états, complètement déconnecté de la réalité. Je répondais depuis ma peur, depuis un espace meurtri ayant été laissé pour compte en moi.
«Es-tu fou ? lui lançai-je violemment. Pourquoi claques-tu la porte comme ça ?»
Mon pauvre garçon, décontenancé, ne savait trop quoi répondre devant ma vive sortie colérique contre lui. Quelle terrible faute avait-il commise pour s’attirer de telles invectives de ma part ? Quelque peu déstabilisé, il me répondit inquiet : « Désolé, papa ! Je vais faire attention la prochaine fois. »
Comme je n’avais jamais réagi ainsi envers mon fils, ma femme me demanda, complètement estomaquée : « Ça va pas la tête ? Tu es devenu fou ou quoi ? »
Non, je n’étais pas devenu fou. J’avais été exposé, en Afghanistan, à une situation agressante pour mon esprit, ignorant que je portais toujours des séquelles en moi. Le claquement de porte, lié à un souvenir anxiogène, avait altéré mon comportement de manière drastique. Pour ma part, il s’agissait là d’une réaction normale à une situation de crise mal gérée en moi. D’autres soldats, revenant de guerre, sont plus gravement affectés et souffrent d’un choc post-traumatique.
Qu’est-ce que le choc post-traumatique
Le choc post-traumatique est enregistré dans le DSM-V (Diagnosis and Statistical Manual of Mental Disorders), la bible de références des psychiatres. Elle est entre autres une réaction de sursaut exagéré qui mène souvent à des accès de colère – bien involontaires.
Un événement traumatique comporte trois phases
- La première étant la crise dans laquelle la personne est complètement confuse et désorientée par un événement qu’elle vient de vivre. Le trauma peut créer des symptômes dissociatifs, comme si tout se déroulait dans un film plutôt que dans la propre vie.
- La deuxième phase, plus complexe, est celle post-traumatique. Elle ne se vit pas de la même façon chez les personnes atteintes qui vont soit réagir, s’adapter ou absorber l’événement.
- La dernière phase, celle qui demande d’abord d’avoir compris que nous sommes mus par un traumatisme sous-jacent, est celle de résolution ou, si vous préférez, la phase de guérison. Il y a alors une diminution de l’intensité des émotions liées à la situation traumatique et un goût renouvelé pour la vie.
Personnellement, j’ai été victime d’un flash-back, comme le vivent beaucoup de militaires lorsqu’ils entendent un bruit fort et soudain ressemblant à une détonation. Cette journée-là, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Honnêtement, jamais je n’aurais cru avoir conservé des séquelles de cet événement tragique.
Ça se passe dans la tête
C’est la région de mon cerveau instinctif, celle qu’on appelle l’amygdale, qui me poussait à réagir de la sorte. L’amygdale est le siège de nos instincts : la base de nos émotions, particulièrement les plus tribales. Il est automatisé et n’agit qu’en fonction de sa survivance. Ses principaux instincts sont la conservation et la reproduction de l’espèce, la soif, la faim, la peur, la colère, les pulsions, etc.
Quel choc ce fut de réaliser que ce genre de traumatisme pouvait survenir dans ma propre vie ! Voyons, ça n’arrive qu’aux autres, certainement pas à moi !
Ça n’arrive pas qu’aux autres
À cette époque, j’éprouvais une très haute estime de moi-même, j’étais un guerrier. J’avais du caractère, mais sans être violent. Aucun doute, mes capacités à affronter les épreuves et la pression étaient mes grandes forces. Je me considérais un homme très fort, presque invincible… Comme je me trompais largement ! Quel choc de saisir que je n’étais pas épargné et que nous étions TOUS des êtres vulnérables, susceptibles de craquer dans des circonstances réactivant des traumatismes anciens non résolus en nous !
Mon orgueil en a pris un coup. Quelque chose ne tournait pas rond en moi. Le moindre stimulus bruyant ramenait de manière sous-jacente l’événement traumatique. Moi qui m’étais toujours considéré comme un modèle, tant pour mes enfants que pour ma famille, je ne remplissais plus au mieux mon rôle d’homme, de père et d’époux. Je m’en voulais de ne pas être à la hauteur. Je prenais conscience que, cette fois-ci, je devais prendre soin de moi.
Aller cherche de l’aide
L’heure de l’introspection, le moment crucial d’effectuer un examen de conscience était venu. Même si je ne croyais pas mon cas très grave, je demeurais conscient que faire l’autruche en me mettant la tête dans le sable, c’était ignorer que ma situation pouvait empirer avec le temps. Pire, elle avait le potentiel de causer davantage de destruction dans ma vie. Je devais quérir de l’aide au plus vite, pas seulement pour moi, mais aussi pour ne pas que ma famille souffre indûment des séquelles de mes actions et réactions. Un soutien psychologique, dans des situations similaires, demeure d’une importance capitale. Une mise en mots, devant une personne de confiance, constitue un pas vers soi et vers l’autre; une guérison de l’être.
Je voulais consulter des professionnels en santé mentale pour comprendre ce qui incitait mes comportements réactionnels et pourquoi je n’arrivais pas à m’en départir d’emblée. Quand on se retrouve au stade d’ignorer ce qui a précédé à des agissements douloureux, un témoin professionnel peut nous aider à revenir dans ce lieu intérieur que nous avons tendance à fuir. Éventuellement, il sera possible de récupérer notre pouvoir sur nous-mêmes et notre vie.
Traduire l’indicible en mots peut parfois prendre du temps, surtout si une personne se trouve en mode défensif. Avec de l’aide, je suis parvenu à déterrer l’événement sous-jacent, à surmonter ce traumatisme et à ne plus avoir de symptômes de reviviscences. Grâce à une écoute empathique, j’ai récupéré ma faculté de parler et de raconter non seulement l’événement, mais aussi, comment je l’avais vécu dans ma chair et dans mes émotions. De vulnérable et perméable aux agressions extérieures, j’ai développé une plus grande confiance en moi. J’ai cessé d’actualiser mes débordements émotionnels, j’ai retrouvé une force mentale que je croyais avoir perdue et un sentiment de complétude après avoir enfin bouclé la boucle de cet événement, en Afghanistan.
Pendant une bonne période de temps, j’avais perdu de vue l’être que j’étais vraiment. Juste parler, confier à un spécialiste l’origine traumatique de mes comportements, m’a aidé à transcender l’événement et à regagner ma force intérieure. En parlant, j’ai pu libérer l’émotion et évacuer la pression. Mes réactions impulsives inadéquates ont peu à peu diminué pour ensuite disparaître. Je suis un rescapé du trauma grâce une intervention thérapeutique de qualité.
Les événements post-traumatiques
Les événements post-traumatiques sont différents les uns des autres. Ils peuvent provenir :
- d’actes de violence : agression, vols par effraction, guerres, captivité, torture, etc.;
- d’accidents : de voiture, d’avion ou de bateau, un incendie, d’accidents au travail, d’incidents nucléaires, etc.;
- de catastrophes naturelles : tremblements de terre, ouragans, tornades, inondations, feux de forêt, etc.
Lorsque ces événements surviennent, la personne se trouve habituellement en état de sidération : la peur, l’impuissance ou l’horreur l’assaillent et cette intensité inhabituelle la marque profondément. Dès lors, elle peut développer des symptômes dépressifs ainsi que des symptômes post-traumatiques qui l’empêchent de fonctionner adéquatement dans son quotidien.
Les réactions possibles en choc post-traumatique
Si vous reconnaissez un de ces symptômes, allez vite consulter une personne-ressource. Elle pourra vous aider à vous sortir de ce moment difficile pour vous.
Reviviscence : des images où des pensées de l’événement ne cessent de revenir en boucle dans votre esprit. À certains moments, vous avez même des flash-back de ce qui s’est passé. Vous développez un trouble anxiogène…
Évitement : vous vous isolez; vous vous retirez de vos activités habituelles; vous entrez dans un mutisme sélectif – refusant de parler de l’événement; ne désirez plus sortir de peur de vous retrouver dans une situation similaire; vous vous sentez tétanisé émotionnellement; vous avez des idéations suicidaires…
Hyperactivité : vous éprouvez des difficultés de concentration, à rester présent, l’irritabilité vous gagne pour des riens; vous êtes en extrêmes vigilances; vos nuits sont agitées et cauchemardesques…
Lorsque le traumatisme perdure dans notre esprit, les sons, les rêves et les images deviennent alors envahissants et prennent des formes non conformes à la réalité : telle une porte claquant violemment et qui rappelle un obus sautant près de soi…